Probst, J.M. 1995. Capacité de vol étonnante du Bulbul orphée Pycnonotus jocosus (Ile aux Aigrettes – Ile Maurice). Bull. Phaethon, 1 : 14-17.

Publié le par Jean-Michel PROBST

Bulletin Phaethon, 1995, 1 : 14-17.

Capacité de vol étonnante
du Bulbul orphée Pycnonotus jocosus
(Ile aux Aigrettes – Ile Maurice)


Jean-Michel Probst*

* Nature & Patrimoine, 2 allée Mangaron, Dos d’Ane, 97 419 La Possession

Résumé : Alors que j’étais « Warden » pendant un an (1989-1990) sur l’île aux Aigrettes, des petits groupes de "Bulbul orphée" (ou "Condé") ont été observés survolant le lagon entre l'Ile Maurice et cet îlot. Les détails de leur survol quotidien du bras de mer et de leur comportement étrange sont décrits ci-dessous.

Présentation de l'île aux Aigrettes

    Réserve naturelle de 25 hectares qui culmine à 7 mètres, l'Ile aux Aigrettes ressemble à une soucoupe verte posée sur l'eau. Le centre de l'Ile est couvert d'une forêt sèche presque intacte, avec de nombreuses espèces végétales indigènes et endémiques (Strahm, 1987). On y trouve principalement le fameux "Bois d'ébène Diospyros egrettarum associé aux orchidées épiphytes Oeniella aphrodites et les "Bois d'éponge" Gastonia cutisponga. Le pourtour de l'île est beaucoup plus dégradé du fait de feux anciens et des "coupeurs de bois" qui venaient autrefois de l'Ile Maurice faire leur provision de "bois feux" (1). On remarque une ceinture végétale impénétrable de Leucaena leucocephala  au Nord et des zones buissonnantes impénétrables de Flacourtia indica  au Sud.

    Du fait de la tranquillité de la réserve naturelle, les oiseaux sont particulièrement abondants et la densité des nids importante. Avec le Bulbul orphée Pycnonotus jocosus (oiseau le plus fréquent), on trouve d'autres espèces introduites :

- la tourterelle striée Geopelia striata,
- le Martin Acridotheres tristis,
- les deux tourterelles Streptopelia chinensis  et S. picturata,
- le Foudi Foudia madagascariensis,
- le Moineau Passer domesticus.

    Les autres introduits qui suivent sont plus rares (moins de 3 observations en 8 mois) :

- le tisserin ou Bellier Ploceus cucullatus  (1 observation le 18/7/89)
- le bengali ou bec rose Estrilda astrild (2 observations le 8/6 et le 10/6/89)

    D'autre part, certains oiseaux indigènes utilisent l'île comme reposoir ou comme zone d'alimentation. Les espèces indigènes non nicheuses présentes sont par ordre de fréquence de rencontre :

- le courlis corlieu Numenius phaeopus (espèce présente toute l'année !) a des comportements étonnants de "nicheur" dans la forêt sèche située à l'intérieur de l'île. Des démonstrations territoriales sont souvent observées par les ornithologues de passage (comm. pers. Carl Jones et obs. personnelles).

- le Héron vert Butorides striatus qui, au moment de la marée basse, pêche tout autour de l'île. Des démonstrations territoriales face aux Faucons relâchés laisse supposer un site de nidification probable sur la côte Est de l'île.

- le Faucon crécerelle Falco punctatus  (relâché sur l'île)

- la Roussette Pteropus niger  a été observée une fois, la nuit du 5/5/89 sur un Badamier Terminalia catappa.

    On peut signaler ici qu'au début du mois d'octobre, des plaintes caractéristiques de Puffin du Pacifique Puffinus pacificus ont été entendues, trois nuits de suite, au Sud Ouest de l'Ile (zone rocheuse avec certaines cavités potentielles pour sa nidification) mais sans qu'aucun terrier ou preuve de nidification n'aient été découvert (2). Le reste de l'avifaune indigène est constitué par des oiseaux migrateurs, des limicoles et des oiseaux marins de passage (Probst, en prép.).

Liaison quotidienne du Bulbul orphée entre l'île Maurice et l'île aux Aigrettes

    Le départ et l'envol du Condé, de l'îlot aux côtes de l'Ile Maurice, suivent un rituel bien marqué. Les oiseaux, très bruyants, se regroupent sur les buissons bordant les rochers surplombants de l'Ile aux Aigrettes. Un individu s'élève en l'air suivi de près par les autres et redescend aussitôt, un autre prend le relais, toujours suivi par les autres, s'avance un peu au-dessus de la mer, puis le groupe retourne au point de départ. A chaque observation de ce phénomène quotidien, on peut retenir le nombre élevé des tentatives et les cris plus nombreux qu'à l'ordinaire (car le Condé crie dans de nombreuses occasions). Une fois le départ réellement pris, ils volent rapidement en vol compact jusqu'au rivage en face, à une hauteur estimée à environ trente mètres au-dessus de l'eau.

Observations de vols singuliers

    Le condé est observé en vol surplace, soit contre le vent, soit en l'air à côté d’une toile d’araignée qu’il pique au milieu de sa toile, ou encore lorsqu’il pique un fruit mûr.

    Lorsqu'il repère un fruit appétissant, par exemple la papaye Carica papaya, il vole sur place en battant très vite des ailes et creuse, ainsi suspendu dans le vide, la partie mûre du dessous (plus de 10 observations).

    Une observation de capture de Phalantha phalantha, un lépidoptère introduit très fréquent sur l'île, révèle un autre vol très particulier. S'adaptant à la stratégie de fuite du papillon qui tente d'abord une brusque montée verticale pour piquer ensuite vers le sol, le Condé accompagne le papillon dans sa montée (peut être pour l'isoler), puis le capture dans sa descente.

Observation et discussion autour d'un comportement inexpliqué

    Alors que de l'île aux Aigrettes, j'inspecte la côte mauricienne avec mes jumelles, un groupe formé d'une vingtaine d'oiseaux attire mon attention. Ce sont des Bulbul orphée qui semblent avoir quelques difficultés à voler contre le vent. Ils viennent de la pointe d‘Esny de l'île Maurice et se dirigent droit sur l'Ile aux Aigrettes. Quelques individus du groupe font des remontées désordonnées suivies de vol surplace comme s'il se sentent en danger et évaluent la distance pour rejoindre la côte. Le vent paraît les contrarier, mais petit à petit, ils reprennent leur vol dans ma direction. Quelques centaines de mètres plus loin, nouveau rassemblement vertical "en chandelle" et nouvelle progression vers l'île. Considérant la perte d'énergie importante au moment de ces mouvements désespérés, je m'attends à tout moment à l'abandon des individus les plus faibles physiquement. Cependant, les premiers oiseaux arrivent dans la zone abritée de l'île aux Aigrettes. Apparemment très fatigués, ils se posent sur les rochers littoraux. Le reste de la troupe suit quelques dizaines de mètres plus loin et je m'apprête intérieurement à les féliciter de tant de courage quand soudain : stupeur ! Un individu, puis deux, trois, quatre et finalement cinq se laissent "stupidement" tomber dans la mer !!! Ils sont tous sans exception dans la zone abritée, sans vague à une vingtaine de mètres à peine de la côte. Ils ne semblent nullement effrayés de leur situation (aucune tentative de s'échapper de l'eau). Ils paraissent au contraire se reposer pleinement. Voir ainsi ces oiseaux terrestres posés sur l'eau comme des canards est un spectacle des plus étranges.

Pourquoi ont-ils décidé de s'arrêter si près du but ?

    Je ne suis pas au bout de mes surprises. Alors qu'ils dérivent doucement en raison d'un courant lagunaire autour de l'île, un oiseau décolle de l'eau verticalement, avec une grande facilité ! Et les autres suivent, chacun à leur rythme. Tous sortent de l’eau en trois coups d'aile, avec la même aisance ! J'ai pu, par la suite, observer trois fois encore ce comportement, dont une fois en compagnie de Carl Jones. Les oiseaux venaient du même endroit et le schéma général était sensiblement le même. La répétition des observations montre que les bulbuls se posent délibérément sur l'eau, mais aucune explication n'a pu être apportée. En d'autres occasions, j'ai pu noter trois autres espèces d'oiseaux terrestres tombés dans l'eau (3) et retrouvés flottant autour de l'Ile (tous des juvéniles) mais qui n'arrivaient plus à s’envoler :

-Streptopelia chinensis  (2 ind.)
-Geopelia striata  (1 ind.)
-Falco punctatus    (1 ind.)

Conclusion

    L'abondance du Bulbul orphée à l'Ile aux Aigrettes ne s'explique pas simplement par la tranquillité du site, puisqu'au Domaine du Chasseur, situé dans le Sud de Maurice, des individus sont devenus presque apprivoisés et se servent derrière le bar des touristes. La familiarité de ces individus est telle qu'ils s'approchent à une distance d'environ 3 mètres (quelquefois plus près, d'après le personnel).

    Sur l'île, la fructification des "Prunes malgaches" Flacourtia indica  et d'autres espèces végétales fruitières indigènes et introduites sont un attrait majeur favorisant son abondance. Étant donné ses capacités de vol, il est à craindre que les îlots réserves au Nord de Maurice ne soient, dans le futur, également colonisés par cette espèce.

    Nous n'avons que peu de renseignements sur son régime alimentaire. D'après les ouvrages disponibles à Maurice ou à La Réunion, il serait omnivore et consommerait principalement des fruits, des graines, des insectes et pillerait quelquefois même, les couvées des nids (Barré & Barau, 1982, Michel, 1986).

    A l'avenir, il serait intéressant de noter plus précisément les variétés et les quantités de baies ou de fruits consommés par cette espèce tout au long de l'année. Ceci permettrait de cerner son impact sur les cultures fruitières comme sur l'environnement.

Bibliographie

BARRE, N. & BARAU, A. 1982. Les oiseaux de La Réunion, St Denis, 1-196.

MICHEL, C. 1986. Birds of Mauritius. Ed. Océan Indien, 1-46.

PROBST, J-M. 1995. Liste commentée des limicoles et oiseaux marins migrateurs observés à l’île Maurice et plus particulièrement dans le Lagon de Mahébourg. Bulletin Phaethon, 1 : 4-8.

STRAHM, W. 1987. The native flora of "Ile aux Aigrettes". Rep. int. Mauritius Wildlife Appeal Fund.


Notes de bas de page
(1) Aujourd’hui encore, dans la plupart des cases du littoral du lagon de Mahébourg, la cuisine se fait traditionnellement au feu de bois et le “Bois d’ébène“ est apprécié car étant dur, il brûle plus longtemps.

(2) La plupart du temps, les chants plaintifs du Puffin du Pacifique sont émis à terre, il est donc possible que cette espèce niche dans les trous rocheux de calcarénite. Il peut s’agir également d’une tentative d’installation. D’après le gardien “Michel“ : « il y avait autrefois des puffins de cette espèce sur les îlots du lagon de Mahébourg, mais depuis, ils ont été tous mangés » (sic !)

(3) La situation est ici différente puisque, au contraire du Bulbul orphée qui se laisse "tomber" dans l'eau, ailes écartées, il s'agissait probablement d'oiseaux intoxiqués avec les produits herbicides testés pendant un an contre les souches de pestes végétales (Flacourtia indica et Leucaena leucocephala)
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F
<br /> Re bonjour,<br /> <br /> <br /> Jean-Michel Probst, je vous remercie de consulter votre ancienne adresse email. Je vous ai adressée un courrier.<br /> <br /> <br /> A très bientôt sur votre blog !!!<br />
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F
<br /> Si je puis émettre un avis, j'oserais peut-être apprécier la situation de la façon suivante.<br /> <br /> <br /> 1.Apparemment en premier lieu, les Pycnonotus Jocosus volent plus ou moins sans obstacle majeure: Rien A Signaler<br /> <br /> <br /> 2. Après un long périple, à partir du dernier retour définitif , ils "se laissent tomber" dans l'eau de l'océan.<br /> <br /> <br /> 3. Ils repartent.<br /> <br /> <br /> = optimisation du repos (pas de dépenses inutiles d'énergie: se laissent tomber) + massages océaniques (mouvent lent de l'eau)!<br /> <br /> <br /> Qu'en pensez-vous ? <br /> <br /> <br /> Merci de me faire partager vos réflexions. <br />
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