HONSTERETTE, E. et PROBST, J.M. 1999. Redécouverte d’un reptile considéré comme disparu depuis plus de 130 ans à La Réunion, le Scinque de Bouton. Bull. Phaethon, 9 : 1-3.

Publié le par Jean-Michel PROBST

Bulletin Phaethon, 1999, 9 : 1-3.

Redécouverte d’un reptile considéré comme disparu depuis plus de 130 ans à La Réunion, le Scinque de Bouton
Cryptoblepharus boutonii 


Emmanuel Honsterette* & Jean-Michel Probst*

*Nature & Patrimoine, 2 Allée Mangaron, Dos d'Ane, 97 419 LA POSSESSION

    Nous dédions cette découverte à Emmanuel Honsterette. Ce naturaliste curieux de tout nous a quittés, il y a quelques années, alors qu’il effectuait une plongée en apnée dans la Baie de Saint-Paul. Alors que le manuscrit de cette note était terminé, nous avons pensé que cette découverte lui revenait de droit puisque le 30 octobre 1990, il avait bien cru observer cette espèce dans la même zone. À l’époque, Emmanuel n’était pas bien sûr de lui et, après plusieurs prospections restées veines, nous avions abandonné tous les deux les recherches.

Introduction

    Le 09/03/1999, dans le Sud de l’île, alors que j’avais terminé une observation sur un groupe de Noddis brun, mon attention est attirée par des alarmes provenant d’un groupe de Martin se poursuivant. Un individu possède quelque chose dans son bec qui semble intéresser vivement les autres. Le fuyard se pose sur le haut d’un Filaos et est aussitôt rejoint par 3 autres congénères. Le poursuivi ne lâche pas sa proie et s’envole mais la laisse tomber peu après sur le sentier. N’étant pas très loin de la scène, je m’approche et identifie un jeune Scinque !!!

    Un peu sonné par la chute, il se laisse capturer aisément. Je le dépose aussitôt dans une petite boîte de pellicule photo, puis de retour à la voiture dans une petite boîte en plastique. Il semble assez mal en point et s’il est maintenant bien vigoureux, il glisse sur le plancher lisse de la boîte en plastique. Je m’arrête au niveau de la plage de Saint-Gilles et dépose délicatement un lit de sable et gravier au fond de la boîte mais le résultat est le même, il se traîne et rampe plutôt qu’il ne court sur le sable.

    Apporté à l’Insectarium, je le montre à Samuel Couteyen et Sophie Cardelly qui pensent que ce spécimen ne tiendra pas longtemps. Examiné de plus près, il semble avoir les deux pattes du côté gauche paralysées et avoir une fracture à la base du dos. Il est installé dans un petit terrarium avec quelques larves de grillon. Il restera à l’insectarium mais sans trop d’espoir.

    Le lendemain la tempête tropicale et l’alerte rouge interdisent tout déplacement pour observer le nouveau pensionnaire. Ce n’est donc que deux jours après sa mise en captivité que le jeune individu est retrouvé mort. Il est alors aussitôt étiqueté et préservé dans un tube d’alcool.

Description de l’individu

    La morphologie de l’individu capturé est caractéristique de la famille des Scincidae : long corps filiforme, les pattes terminées par des doigts fins munis de griffes, la couleur brillante des écailles du corps. De prime abord, il semble identique à la forme mauricienne. Les déplacements sont très rapides et entrecoupés de pauses éclairs immobiles. La plupart des mouvements, même avec peu d’amplitude, sont toujours très vifs.

Identification de l’espèce

    La couleur gris métallique, avec des reflets bronzés, les flancs gris foncé, et surtout la morphologie longiligne et la taille de l’animal font immédiatement référence au Scinque de Bouton. La tête est fine, brune avec des reflets cuivrés et métallisés. Le corps est allongé, filiforme et contraste avec les membres courts surmontés de pattes aux longs doigts fins, terminés par des griffes.


    Jusqu’à encore très récemment, cette espèce de reptile avait failli sombrer dans l’oubli. Elle était jusqu’alors soit ignorée, soit considérée comme faisant partie des espèces douteuses éteintes (Probst, 1997a). Des recherches complémentaires sur les espèces disparues (Probst & Brial, à paraître) ont permis de documenter les connaissances sur la famille des Scincidae autochtones de La Réunion (Probst, 1998).

    La seule description ancienne connue se rapportant probablement à cette espèce avait été publiée, il y a maintenant 136 ans. Il s’agissait d’une liste consacrée à l’inventaire de la faune de l’île Bourbon (Maillard, 1863). C’est probablement cette même espèce que Maillard a décrit sous le nom français de « Petit lézard de terre » et du nom latin « Ablepharus peronii ». Maillard ajoute qu’il le considérait comme « très rare ».

    Le Scinque de Bouton est représenté par de nombreuses sous-espèces distribuées dans de nombreuses îles de l’Océan Indien. Une sous-espèce est également présente sur l’îlot d’Europa. Éminemment variable, elle avait fait l’objet d’un article précédent qui décrivait une petite population nouvelle qui avait la particularité de posséder une coloration encore inconnue (Probst, 1997b). Dans l’Océan Indien, elle existe également à Maurice (Vinson & Vinson, 1969), à Mayotte, aux Comores, aux Glorieuses, aux Seychelles. Dans chacune de ces îles, elle est représentée par un taxon endémique. Une comparaison morphologique et, si possible, génétique avec les différentes populations de l’Océan Indien permettrait de définir le statut d’endémique de la population réunionnaise.

Recherche de la population

    En mars, avril et mai, quatorze sorties ont été effectuées en collaboration avec Pascal Colas, afin de prospecter systématiquement les alentours de la découverte du jeune individu. Les parois des remparts ont été descendues en rappel, puis remontées à la poignée Jumar. Sur les vires et le haut des falaises, 20 trappes ont été posées sept fois dans différents milieux et relevées 2 jours après. La prospection aura finalement permis de découvrir une micro population installée dans le rempart d’une ravine. Pour d’évidentes raisons de tranquillité du site et afin de conserver la population, nous ne dévoilerons pas le nom du site jusqu’à ce qu’une étude complémentaire nous renseigne sur la distribution et le statut de l’espèce à La Réunion.

    En l’état actuel des connaissances, il est difficile d’estimer la population. Existe-t-il plusieurs noyaux de cette espèce sur le littoral de La Réunion ? On peut affirmer qu’aucune recherche sérieuse de cette espèce n’a été entreprise. Elle n’est certainement pas florissante et semble au bord de l’extinction. Un maximum de 4 individus a été observé en même temps. Dans un avenir proche, nous nous proposons d’étudier les milieux littoraux de l’île de La Réunion, de présenter une cartographie de cette espèce et un état de ses populations.

Bibliographie

ARNOLD, E.N. 1980. Recently extinct reptile populations from Mauritius and Réunion, Indian Ocean. J. Zool. Lond. 191 : 33-47.

BOUR, R. et MOUTOU, F. 1982. Reptiles et amphibiens de l'île de La Réunion. Info Nature 19 : 121-156.

CHEKE, A. S. 1987. Species acconts : the native fauna – Reptiles (Tortoises, Marine turtles, Lizards, Snakes). In Diamond A.W. éd. Studies of Mascarene Island Birds. Cambridge University Press, U.K : 51-59.

MAILLARD, L. 1863. Note sur l'île de la Réunion (Bourbon). Vol. 1 Paris. 1-343, annexes A-R, pl. 1-27.

MOUTOU, F. 1983. Identification des Reptiles réunionnais. Info Nature 20 : 53-64.

PROBST, J-M. 1997a. Les Animaux de La Réunion ; guide d’identification des oiseaux, mammifères, reptiles et amphibiens. Éditions Azalées, 1-167.

PROBST, J-M. 1997b. Note sur une population isolée de Scinque de Bouton bleu et brun Cryptoblepharus boutonii nettement distincte des deux formes précédemment décrites sur l’île Europa (iles éparses, Canal du Mozambique). Bulletin Phaethon, 5 : 63.

PROBST, J-M. 1998. Les Scinques disparus de La Réunion : le Grand Scinque Leiolopisma sp., le Scinque de Bojer Gongylomorphus bojeri et le Scinque de Bouton Cryptoblepharus boutonii. Bulletin Phaethon, 7 : 1-4.

VINSON, J. et VINSON, J.M. 1969. The saurian fauna of the Mascarene Islands. Bull. Maurt. Inst. 6 (4) : 203-320.
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